vendredi, décembre 22, 2006

De l'avant, garde, en avant!



Le temps serait le nôtre et
commença. Nous avons failli
tomber en trébuchant
les uns sur les autres.

Bien qu'encore au milieu,
le pilier nous répartit.

La plupart de ce temps-là – en avant!
nous étions dans nos jambes.

Le pilier n'est plus au centre
et nous arrondit.

À tâtons on trouvait toujours
un bout de corde
pour tirer de l'avant.

À présent encore, cela nous embarrasse,
de sorte que deux fois par jour,
nous nous levons, constituant
la corde chorale – en avant!

mardi, novembre 21, 2006

Pris en vitesse par l'obturateur rapide




Nous avançons lentement,
jusqu'à ce que la vue s'ouvre.
Il nous a fallu attendre longtemps,
deux minutes, un mois ou,
qui sait, deux ans.

D'abord nous voyons un homme
de taille importante
portant une pleine barbe.
Bruxelles, voilà Karl.

C'est là que commence l'attente,
jusqu'à ce que, en premier lieu,
la barbe tombe. Puis, l'homme
se rétrécit, pas longtemps,
et en voilà trois.

Lequel est Groucho
et où sommes-nous?

mardi, novembre 14, 2006

Même à l'état de veille, ses images ne cessent de m'assaillir."
(A. Robbe-Grillet)

1. La première vue se rapproche au soleil
levant, et tremble le bateau. D'une montagne
à l'autre, l'eau ne se trompe pas.
Les routes sont épuisées, d'ores et déjà.

Mais le repos à l'ombre! Se tirailler
à cause d'un sujet tant voulu,
mais le repas à l'ombre!
Les routes se font reprendre.

Le sable autour ne présente pas
son peuple, n'affichant pas plus

que la couleur. Et ivres du parcours,
les voyageurs attrapent le destin.

Lettre à un jeune écrivain

Un jour, plutôt rare, Philippe m'invita moi et ma femme, à prendre le dîner chez lui. J'acceptai, bien que ma femme se réserva. Je m'y trouvais en compagnie d'un individu plutôt sinistre, qui n'arrêtait pas d'intervenir dans le dialogue que Philippe voulait avec moi à propos d'affaires qui nous tiennent au cœur. Il était tellement désagréable, que les affaires n'ont pas été discutées à fond. Après, il a essayé de me poursuivre. L'ayant court-circuité, il me jura de garder distance. Ce qu'il ne fit pas. En voici le résultat:

Médiocrité
L'intitulé du présent document est né de ta bouche, étant donné que tu laisses tomber ce terme une fois par paragraphe. Aurais-tu un problème qui s'intitule tel quel?
Serais-tu médiocre et essayes-tu de te cacher? Voyons. Comme la plupart des membres de ton peuple, ta prose fiction ne s'écrit pas mais se joue, en toute médiocrité oui, dans les relations humaines. L'exemple le plus frappant ce samedi, était la façon dont tu as nié le fait que j'ai lancé Philippe dans la littérature. Pourquoi nier les faits? Parce que tu leur imposes ta fiction. Mais si tu avais le courage d'être écrivain, de prendre ta fiction comme fiction et de la transformer en livre? Ton problème médiocre n'existerait plus. De plus, cela ne change rien au fait que j'ai lancé Philippe en littérature.
Je t'ai demandé si tu connais Tahar Ben Jalloun. Bien sûr, tu m'as répondu. Il est mon maître et le traître de mon père. Tu ne connais pas Tahar Ben Jalloun. Le reconnaître en tant que ton maître et ensuite le réduire à celui qui a critiqué ton père, pour autant que Ben Jalloun ait connu ton père, est une fiction hors logique, si ce n'est que tu donnes une certaine importance à Ben Jalloun. Un candidat au prix Nobel, n'est-ce pas?
Si vraiment Ben Jalloun était ton maître, tu n'aurais pas besoin de fabuler (comme dans le cas de Bert P., avec qui tu n'as rien à voir et avec qui, probablement, tu n'as même pas parlé de moi dans les termes que tu m'as cités. Si Ben Jalloun était ton maître, Bert P. deviendrait un personnage d'un roman que tu écrirais. Mais ton peuple, contrairement à Ben Jalloun et ces jeunes auteurs hollandais, n'a pas le courage d'effectuer sa fiction en tant que fiction. Par peur? Par médiocrité? Je ne le sais pas et cela est loin de moi. À toi de donner la réponse et, si tu dépasses ce stade, d'en faire une belle œuvre. Hélas, ici pas de médiocrité: tu le fais ou tu te tais. Et puis, pourquoi y a-t-il si peu de poètes issus de ton peuple? Pourquoi y a-t-il tant de vaudeville dans vos théâtres? Et inutile de nier que tu as dit que Ben Jalloun est ton maître.

mercredi, novembre 08, 2006

Poésie blanche



Née aux États-Unis sous la plume d'Edgar Allen Poe, Baudelaire traduisant celui-ci en français et l'important au continent européen, la poésie blanche a connu un cheminement sinueux en passant, en français, par Guillaume Apollinaire et Stéphane Mallarmé, pour aboutir à Du Bouchet, par Paul Célan – à Paris, en allemand – et par Paul Van Ostaijen – en néerlandais – pour aboutir à Hans Faverey et Marc Tiefenthal, ce dernier tant en néerlandais qu'en français. Aux États-UnisPeu connue du public, méconnue par les médias, la poésie blanche pourrait être considérée comme la seule tradition moderne en poésie, les autres étant souvent des mouvances néo. Les médias ont tendance à la classifier comme expérimentale, évitant tout travail de lecture, préférant le déplacement qu'ils confondent au voyage. À noter que seule la dernière période de l'œuvre de Paul Van Ostaijen se qualifie de poésie blanche. Deux règles d'or régissent cette reine marginale de la modernité en poésie:- Écrire, c'est biffer- De la musique avant toute choseLa première règle s'applique au préalable: le poète, pour écrire blanc, supprime toute réalité descriptive ou anecdotique. La poésie ne décrit pas, ni ne décrète, elle évoque. Elle évoque par la musique, c'est-à-dire par un jeu – métaphysique – de sonorité et de temps et contre-temps dans la construction des phrases, phrases devenant musicales de la sorte.
(Photo: Marc Tiefenthal et trio de jazz lors de la présentation de son dernier recueil le 6 janvier 2006)


mardi, novembre 07, 2006

Oujda, menhir

Quelques cas de figures que l'on s'imagine, (-1 = i )
la moindre en manque constant,
ne se remplissent guère du tout.

Est-ce tout? Celui ou celle
qui prend la figure de l'autre
pour un écran, manque d'un cran.

Se lavant la figure, de proue et autre,
se purifiant jusqu'au ras le bol,
il y a de quoi effacer les quelques cas -1 + -1 = + 1 = r
de figures que l'on s'imagine.

(conclusion: toute figuration revient au même: (-1 = i ),
toute purification aussi: -1 + -1 = + 1 = r

mardi, octobre 17, 2006

L'esprit européen est à l'heure de la liberté

Dans le rêve géométrique, quatre cellules
en couleur se trouvent à mes pieds nus.
J'insiste à ce que je les supervise
tant chacune des quatre croit devoir
m'inviter à y descendre et je refuse.

Si l'une est arabesque, élégance, en or,
une autre penta- ou sexagon, vert jaune,
une est ronde et vide, une autre pleine et noire.

Jusqu'à ce que, enfin, je descende, tout nu,
dans ta chair, pourpre sur noir, y pénétrant,

et qu'avec ton cri le rêve pour du bon
puisse cesser de proliférer.

Beni-Mellal /Tolède, août - septembre 1993

temps dévorants (ville regroupée 3)




par la guerre des temps dévorants,
il faut de temps à autre consommer

3. Lorsque enfin nous arrivons à l'horizon,
ayant traversé l'abîme entre monde et terre,
par un tunnel sous-marin, à travers champs
le long des bois nous courons,
la verdure chantant l'ouverture.

À deux reprises nous avons
cueilli les fruits. La grange s'arrange
pour déchirer le papier
peint. La fumée en tout confort sort
par la cheminée. La pièce est écrite
et peut avoir lieu, comme nous sommes
de bonne humeur et tout propres.

Nous pointons d'abord le poignard
et tournons, de nombreux points,
quelques tours et plouf.

Sauf s'il n'y a plus moyen
de faire autrement, si c'est plus fort
que nous, je sors l'épée
et je pointe, puis je tire.

De la cheminée, la fumée ne souffle pas,
elle siffle.

vendredi, octobre 13, 2006

Pandora emboîte


Alphonse furieux de fer (ou Pandore s'inverse)

Qui donc à déposé cette caisse
à côté du pré? Dans la grange?
Est-elle à moi? Ou à Solange?

Comment le saurais-je?
Ou toi? Ou Solange?

Contient-elle des choses? Ou quelqu'un?
Selon Solange c'est un truc du diable.
Paga Papa Nini croit qu'une chaîne
à haute fidélité y apporte la musique.

L'homme sans masque de fer
pense autrement, il ouvre la caisse: vide.

Des coléoptères et des coccinelles volent
tout droit vers la grange.
sans mot dire ils prennent place.
L'homme sans masque de fer
ferme ensuite la caisse.

samedi, août 05, 2006

Sans express


(oriental) sans express

Le thé de par ses saveurs -
six en l'occurrence -
nous ouvre au goût:

grotte bientôt où nous circulons.

Il aura fallu des années
et une plume perdue,
mon ami Pierrot à Z.

Nous ouvre au gouffre,
bénissant de par ses faveurs,
le pied qui tôt ou tard
finit par danser

le 2 août 2006

samedi, juillet 22, 2006

Tes jambes en veulent à tes doigts

Sans l'oiseau qui de bon augure
va et vient, quelle serait notre saison?
La feuille
- que rien ne l'arrache -
tombera bien d'elle-même.

Il y a, de rien, si peu qu'à l'avenir
nous advient d'inconnu, de nouveau.

Mais que tes doigts soient si longs,
tellement que tes jambes en veulent
autant, c'est tant espéré et jamais vu.

À chaque jour les voir me souviendra
de l'inconnu au comble manifeste.

jeudi, juillet 13, 2006

Tanière 2

Au moins

Déponse à la question dont l'ombre se prive,
dans un tel petit cercle aucune larve
ne pond jamais de cocon, tout juste
de la merde. Au moins, à mon avis.

Échappé à la tyrannie des frustrants,
le cercle tourne en spirale.
Une plante végétative vaut la peine
d'être arrosée de moi.
Au moins, à sa demande.


De ton écorce tout en albâtre
jusqu'à ta dissimulâtre,
noué dans l'ombilic de ton ventre,
mon regard ne te déglisse plus.
Au moins, à ta ressemblance.

lundi, juillet 10, 2006

Hors ligne

De part et d'autre du parquet, en attendant
le coucher du soleil. Et d'autre part, le soleil
ne nous attend pas. A-t-il raison?
Quand sommes-nous dans l'authenticité
du soleil, de la lune, du miel, de la terre?

Tu voudrais quoi à la fin du compte, du questionnaire?

Pour ma part, l'arbre tout droit n'y a
aucun droit, mais son tronc trébuche déjà,
et il entre hors ligne. Le coquillage à moitié,
en attendant l'autre moitié, se remplit
d'un fruit d'arbre, c'est étrange.

Prise en bonne part, à partir de ta nuque
dans le sens où va le soleil couchant,
tu fermes tes yeux et te retrouves autre,
c'est étrange, et enfin ton questionnaire
est rempli. Le parquet est ciré.

vendredi, juillet 07, 2006

tanière

Tanière

Qu'est-ce qu'il faut faire? Avec moi. De toi.
Est-ce que j'évite le bouton tombé par terre?
Et toi? Est-ce que je descends sans peur
dans la marmite des cannibales ou est-ce que
je crie? Et toi, t'es aussi un bon morceau.

Tenir le paysage loti dehors.
Découvrir d'anciens paysages dedans.
Chaque jour, l'œil ouvert, on traverse le désert.
Sarigue et rat d'eau se saluent en cours
de route. Le serpent y glisse à travers.
Il a l'air d'une main ferme et douce.
Son tremblement promet beaucoup de bien.
Ce n'est pas pour rien

que les médecins le collent sur leur pare-brise:
en avant, le serpent. Contre l'orage du désert,
il n'y a pas meilleur abri que la tanière
du serpent. Le reste est chameau.

mardi, mai 16, 2006

Le retour des rois mages en orient


"Nous sommes venus dans la forêt profonde et obscure guidés par l'ombre. Or, nos chefs sont pâles, ils sont vides de sang, du sang oriental, et pâles comme des têtes occidentales. Nous sommes venus guidés par l'ombre."
G. Apollinaire, les faux rois mages dans 'L'enchanteur pourrissant'.


1. Las d'une vie sans épice le voyageur finit
par quitter la table et le lit, un cheval l'attend.
Sans cesse des chants maintenant se répètent.
Si tu en es là tu es bien parti pour du bon.
L'austère linge tombant le flot des sons
et l'écho des cors et des cordes t'emmèneront
à ce que de peu près citrons et oranges, fenouil
et poivre à vrai dire font tout un plat.

Mais tu n'en goûteras pas
avant d'atteindre le lieu à mille lieux
désigné pour l'annone qui te sera offerte.


Enivré de toutes les odeurs le voyageur finit
par quitter la table pour se coucher au nouveau lit.

samedi, mai 13, 2006

D'une différence à une thieférence

Combien la poésie peut-elle créer la différence? Dans quelle mesure ou outre quelle mesure, Tiefenthal crée-t-il la thieférence? Cette semaine, j'ai assisté à une fête d'anniversaire d'un ami qui en a 80 ans maintenant. Peintre de l'abstrait géométrique, fou des couleurs. Guy Vandenbranden. On le retrouve dans maintes collections, privées et muséales. Et à Google. Soit. Parmi les invités, un couple de peintres de Tournai. La femme m'entretenait du sens de la poésie, qui est le même que celui de la peinture: on tombe ou on ne tombe pas. On se laisse emballer ou pas. Et tant pis pour ceux qui ne se font pas emballer. Une poésie compréhensible du premier coup d'oeil est vite consommée sans laisser de trace ou de goût. La poésie digne de ce nom et de cette qualité, résiste au premier coup d'oeil et autre. Toutefois, la thieférence va encore plus loin, en traitant lalangue comme un argot d'office. Si nous croyons nous comprendre, il y a parfois erreur. Si parfois, il y a erreur, tant mieux. Dès qu'il y a erreur, ou leurre, on peut commencer à ... chercher? Ou à ne plus chercher, à se faire emballer, à flipper, à ne plus en sortir, pour en sortir un jour, ayant compris ci et là quelque petite chose.

samedi, mai 06, 2006

Apollinaire et moi


En 1990, j'écris un cycle de 9 poèmes, "Le retour des rois mages en orient". Je l'ai écrit simultanèment en français et en néerlandais. Il a été repris dans mon dernier recueil (voir mon blog Tieftalen). Il commence par une citation de Guillaume Apollinaire (voir photo). Dans les prochains jours, je publierai ici quelques fragments, tant du cycle que du journal que je tenais à l'époque.

dimanche, avril 30, 2006

L'internet éternalise les amitiés



En cherchant des images de mon ami décédé, le peintre JAS, je ne trouve pratiquement rien sur l'internet. Si toutefois je cherche des images de son grand ami et peintre, Guy Vandenbranden, je retrouve JAS. Je me retrouve même lisant des poèmes d'entre autres Apolinnaire, Mallarmé, Wallace Stevens pendant une performance dans la gallerie de Henk à Laren....

vendredi, avril 21, 2006

Bagdad


Enfin, un journaliste américain a osé poser une question pertinente et quelque peu critique, notamment à Donald Rumsfeld:
  • "Quel est finalement le rôle du complexe industriel dans la reprise hostile du café Bagdad?"
  • "Oh, sans complexes."

mercredi, avril 19, 2006

Bonnard à Paris


Le bonheur Bonnard

À l'occasion de la visite à l'exposition des œuvres de Pierre Bonnard au Musée d'art moderne de la ville de Paris

Il est souvent bon ton de dire que l'art est libre de toute valeur, voire doit l'être. L'art ne doit pas juger, seulement montrer. L'art ne doit pas s'engager, ne pas s'impliquer. Picasso pouvait tranquillement crier le scandale lors du bombardement de Guernica, tout en développant ses propres tendances impériales. Il avait la volonté ferme de dominer la scène artistique, à tout prix, y compris telle composition de tel autre peintre, ou encore la technique picturale d'un autre, ayant reçu la visite du maître, que le maître ensuite intégrait dans ses œuvres. En fait, Picasso avait un talent monstre de dessinateur, mais pratiquement pas de talent de peintre.
Il disait même que Pierre Bonnard était un peintre moyen. Sans doute, Bonnard avait-il refusé d'accueillir Picasso dans son atelier? En effet, lorsqu'on voit l'œuvre de Bonnard, on remarque assez vite qu'il maîtrisait de nombreuses techniques et qu'il les utilisait en créant des contrastes tendant à la harmonie, tandis que ses chef-d'œuvres éclatent justement d'harmonie.
La distance entre le peintre et son modèle ou son paysage, intérieur ou portrait, est la plus petite lorsque il s'agissait de peindre sa femme Marthe ou de peindre des autoportraits. Bref, il était fort impliqué.
Il est également bon ton de parler de l'évolution d'une œuvre. Souvent, on oublie d'indiquer le sens de l'évolution, de sorte qu'un changement de couleur dominante, comme dans l'œuvre de Picasso, ou un changement de peinture ou de technique, voire de composition, suffit pour que l'on parle de phase dans une évolution. Au moins, le peintre ne connaissait pas de sens et le critique quelque peu honnête n'en inventera pas un.
Toutefois, les arts plastiques ne permettent pas dix évolutions. On peut donner une ressemblance, une apparence, ou une 'parence', une montration, c'est-à-dire montrer l'objet tel qu'il s'est manifesté, sans y dévier. On peut également approfondir l'image, de sorte que le peintre apparaît de l'autre côté, un peintre autre bien sûr. On peut également dépasser toute image, tout ressemblance, pour ne peindre que l'abstrait. Or, l'art abstrait ne permet pas d'autre évolution que la marginalité: le peintre lui-même apparaît dans sa peinture, y arrive et se fait voir.
Pas étonnant alors que quelques peintres abstraits ont reconnu Pierre Bonnard comme leur prédécesseur. Ses tableaux évoluent dans le sens de la marge, par rapport à la vie mondaine, et de l'abstraction. Cela n'était pas son objectif, ses yeux étant trop avides. Toutefois, vers la fin de sa vie, son regard voyait autrement, voyait les choses autrement. Voilà donc une évolution claire dans un sens rendu visible par l'art.
Pour qu'il soit question d'évolution, il est crucial qu'il s'agisse d'un processus conscient, sans toutefois qu'il y ait une intention explicite. C'est sa propre vie qui évolue dans un certain sens, dont l'effet est visible dans l'art en tant qu'équivalent.
Certes, le lecteur, à présent, dont l'esprit est formé par les images télévisées et tristes, secouera sa tête. Les pensées écrites ici étant exclues du monde imaginaire télévisé, en voie de disparition à la radio, le lecteur s'oblige à croire que tout est parfaitement efficace et doit l'être. Il ne pense plus du tout au bonheur de trouver, hors toute efficacité, un sort, un sens, une évolution. Le bonheur de l'homme télévisé gît à la décharge de sorte que cet homme imaginé s'oblige à croire que la prose qu'il lit ici, est dépassée: le bonheur en effet, est dépassé. Il est passé outre, enlevé par le vent et le malheureux n'est pas arrivé à se pencher à temps.
Une évolution intuitive que l'on peut remarquer chez certains artistes, est au fond une question de bonheur. Elle constitue le bonheur de l'artiste, pourvue qu'elle aille dans le bon sens. Le bonheur Bonnard, quoi.

mardi, avril 18, 2006

Triple sort (suite - 2)

Jean d'Odasse bénéficiait à pleins poumons de son statut d'agent statutaire à la radio, alors qu'il était journaliste, plus indépendant que les autres. Il pouvait critiquer la reprise hostile et agressive du café Bagdad. Il était le seul à dévoiler les vraies intentions des envahisseurs, qui voulaient créer un nouvel impérialisme américain. De plus, il avait fait parler du frère d'Osama B L, Islam, qui appartient au club dirigeant les envahisseurs dudit café.

Jean n'avait pas peur de mourir depuis que la mort l'avait visité, pour se faire interviewer. Il n'avait jamais parlé du vieux chanteur et sa bande, qui avait attaqué une banque à main armée pour constituer un fonds de pension à titre privé. Et puis, le pays étant éclaboussé, la peuplade victorieuse voulait sa peau. Les journaux annonçaient sa mort.

Eux deux, qui s'étaient sauvés, l'avaient appris avant de décider de quitter ce pays. Ils avaient fini par gagner leur nouvelle maison dans cet autre continent. Ils vivaient, sans s'y forcer, la vie de tous les jours.

Ainsi, ils se promenaient le soir dans les rues ou allaient au marché. Et lui, eh bien, il allait souvent pêcher, le long du fleuve hors ville. Il y restait assis, se levait ou se promenait, contemplant la surface du fleuve, perdant son esprit à la vue du paysage.

Il préférait une place avec une rare ombre. Il n'y était pas toujours seul, Mustapha parfois l'accompagnait. Sinon, il lisait quelques pages d'un recueil de poèmes.

Le poème qu'il venait de lire ce jour-là, l'avait mené dans les bras branches d'un arbre, les arbres se raréfiant dans le paysage. Il avait capté tout juste un seul poisson. Fermant le recueil à la page d'arbre, il remarqua une figure, au loin, marchant le long du chemin champêtre. Même de loin, il apparaissait comme un homme peu propre au pays. Il se leva et se dirigea à l'encontre du promeneur errant. Quelques dizaines de mètres les séparaient encore lorsqu'ils se reconnurent: sans se chercher, lui et Jean O'dasse s'étaient retrouvés! Jean, n'était-il pas mort, assassiné à titre de martyre du nouvel ordre au nom d'une basse peuplade? À son tour, Jean s'étonna de se retrouver, à l'étranger si étranger, en compagnie non étrangère, voire quelque peu familière.

Le pêcheur solitaire invita Pierre à s'asseoir à côté de lui, rinça son verre et lui offrit le thé. "Non, mais est-ce que je rêve?". Pierre lui répondit en souriant de sa façon si familière, lumière aux yeux: "Peut-être oui. J'ai créé l'histoire de mon assassinat comme cadeau d'adieu. La veille de la publication, je me trouvais à Milano, chez Umberto, qui a trinqué sur la quasi suprême fiction de ma mort annoncée par moi-même. Umberto me dit que même si je n'avais jamais écrit d'histoires, je venais d'écrire histoire aussi fictive. Il n'en revenait pas. Bono m'avait invité à lire Joyce, la joie suprême, chez lui. J'avait toutefois tout intérêt à me diriger dans l'autre sens, n'ayant pas envie de me faire retrouver vivant de mes ennemis. Direction Istanbul, chez Orhan? Il n'a jamais le temps, le pauvre, s'entourant de trop de beautés. Alors, où? J'ai des amis aux États désunis, mais j'y suis trop recherché encore d'avoir critiqué la reprise hostile du café Bagdad et, surtout, d'avoir donné l'adresse du club au web. J'ai donc préféré l'aventure, prenant l'avion pour Tripoli."

Il but son thé. Tripoli! Et le désert s'approche. "Es-tu passé par le désert?" Jean regarda son partenaire en exil, le sourire glacé. "Comment le sais-tu?" "Je n'en sais rien mais on ne sait jamais. Va savoir!" La lumière revint dans les yeux d'O'dasse. Il avait compris. Il comprit que l'autre avait dû y passer, cet autre qui du coup reprit le fil de sa nouvelle vie, sortant un deuxième poisson de l'eau. Peu après, ensemble ils reprirent la route à la maison.
Ils ne rompirent guère le silence, Jean étant fatigué, comme un poids venait de tomber de ses épaules. Le soir, ils mangèrent à trois les poissons, la femme étant ravie que son mari avait pêché un compatriote exilé.
(à suivre)

dimanche, avril 16, 2006

Bonnard à Paris



Quelle découverte la France et les autres pays, voisins par exemple, peuvent faire au Musée d'art moderne de la ville de Paris! Pierre Bonnard, ayant ses assises dans l'harmonie, nous montre une lumière, un amour et une patience à rendre jaloux tout bouddhiste zen et autre. Allez-y tous. Vous ne trouverez pas le tarif majeur au site web du musée: 9 euros, pas de quoi se démunir... et si vous y allez un jour de semaine, il n'y a pas trop de monde.
Le musée vient de rouvrir ses portes après travaux. Réussi!
Félicitations à la ville de Paris d'avoir eu le courage de rouvrir avec Bonnard. Qu'on en parle partout et à tous.

lundi, avril 10, 2006

Triple sort


{ Tiefenthal Page 1 10/04/2006}


Leur vêtement cachait à peine leur peau. Ils ne savaient plus s'ils traversaient ou bien pénétraient dans le désert. Une oasis, une tente, qu'est-ce qu'ils cherchaient? Lui avait la barbe et un peu de cheveux dans la nuque, ainsi que des poils partout. Elle avait les cheveux mi-longs, raides et blancs et un début de toison au bas-ventre. Ils continuaient, puisqu'ils venaient de si loin.

Leur pays s'était éclaboussé, tout en chantant son ultime victoire boueuse. Les peuples ne le peuplaient plus, un d'entre eux avait décidé d'être le seul au prix, aux dépens des autres. Pour mieux gouverner, au lieu de gérer, le peuple par excellence commença à concentrer les autres peuples: d'abord l'autre visible, par sa couleur de peau différente. La télé était couleur. Plus tard, le gouvernement comptait examiner les origines des autres et les concentrer à leur tour.
Ils n'avaient pas le choix. Leur couple valait plus que le pays. Quand elle n'était pas malade, elle n'avait pas la peau assez blanche. Lui, par contre, n'avait pas ce problème. Il serait donc sauvé de l'épuration par concentration. Plus tard, après l'examen des origines, il risquerait le même sort. En outre, JP avait déjà quitté la vie, selon les journaux.
À la frontière, ils devaient abandonner leur voiture, qui fut saisie dans l'intérêt général. Un signe au sud les guidait et c'est à pied qu'ils arrivaient à la gare, sans bagages, après avoir marché une demi-journée. En passant la frontière, ils avaient fort bien caché leur carte bancaire et n'avaient pratiquement pas d'argent liquide avec eux. L'intérêt général devait se contenter de 55 euros. Ils n'avaient donc pas de problème d'argent, de sorte qu'ils payaient le ticket du train rapide. Il fallait faire vite. Vitesse, dieu du siècle passé.
En cours de route, le train s'arrêta à quelques reprises. Ils ont vu, ainsi, un château fort et un cortège d'une dizaine de personnes ligotées qu'un cavalier de son épée dirigea vers le château. Les prisonniers étaient extrêmement délabrés et avançaient à peine.
Un jour plus tard, ils avaient déjà pris le bateau , lorsque le cours de leur vie changeait enfin. Le bateau coulait. Les ténèbres règnent sur la cause de cette catastrophe, qui était peu naturelle.
Un pêcheur les a sortis des eaux, ainsi que trois autres noyés. La nuit, il les a déposés à une plage déserte, en pleine nuit. Ils semaient dans tous les sens leur regard, ils s'aimaient dans les mêmes. Épuisés, enlacés, ils s'étaient endormis. Le matin, il n'y avait plus de traces des trois autres noyés. Ils se levèrent et prirent la route, un sentier rocheux au bout de la plage.
Une semaine plus tard, ils se trouvaient au désert, amaigris n'ayant bu que de l'eau. Dans chaque village qu'ils traversaient dans les montagnes, la pauvreté des habitants empêchait ceux-ci de leur donner à manger. Ils trouvaient tout juste de quoi boire et grignotaient une olive ou deux ou du pain perdu.

Tout allait beaucoup moins vite, dorénavant. Le dieu de la vitesse les avait abandonnés. Le temps comptait à peine. Ils ne s'étaient lavés qu'une fois, dans la mer, avant de reprendre la route, le sentier. Ils avaient abandonnés certaines choses mais lesquelles? Elles ne comptaient plus. Voiture, maison, meubles, carrière (sur scène ou derrière les coulisses, peu importe). Devant eux: le désert.
Grimpant, marchant à peine, le poil regagnant leurs corps, leur état d'animal regagnait leur état d'esprit. Toutefois, rien ne pouvait les séparer.
Au désert, ils trouvaient bientôt quelque peu de quoi se nourrir mais pratiquement pas de quoi boire. La nuit, ils s'entrelaçaient pour se donner un peu de chaleur. La fin s'annonçait sans précision. Au bout de tout espoir, après avoir erré dans le désert, des jours? des semaines? ils voyaient de loin une caravane. Un homme descendit de sa voiture vers eux et fit arrêter la caravane. Il les fit monter dans la voiture et la caravane continuait sa route. Le soir, elle arrivait près d'une oasis. L'homme sortit de la voiture et guida le couple vers une tente, où ils trouvaient à boire, quelque peu à manger et un lit. ils dormirent tout de suite après l'humble repas.

Ils s'étaient accoutumés à leur état mi-animal, avaient fini par résigner à leur stature humaine. Ils avaient perdu toute notion de nation. En se réveillant, ils étaient perdus. Les gens de la caravane ne leur permettaient pas de prendre le temps de retrouver le nord. Ils reprirent la route. La notion du temps leur revenait au fur et à mesure que la caravane avançait et s'arrêtait. Ainsi, ils voyageaient quatre jours lorsqu'une habitation signifiait l'arrêt du voyage. Le chef de la caravane entrait en négociation avec les habitants au sujet du couple trouvé au désert. Après avoir vidé une théière et passé ainsi un temps incomptable, le couple fut accueilli dans une maison du douar.
Ils y restaient quelques jours afin de reprendre leur forme humaine: prendre un bain, se raser, se rhabiller de vêtements propres et neufs.

Après un mois, ils commençaient à se rendre compte de leur état. Tout leur revenait à l'esprit, à la mémoire: le pays éclaboussé, leur but. Ils étaient arrivés dans le pays qu'ils avaient voulu atteindre. Seulement, ils se trouvaient loin de leur but final. Il fallait encore compter quelques jours, voire une semaine de voyage pour y arriver, en fonction du moyen de déplacement qu'ils pourraient trouver. Toutefois, rien ne pressait. Un taxi les apporta un jour en ville, où ils trouvaient une banque, de l'argent et donc de quoi payer le taxi. Ils retournaient à la civilisation sans perdre de vue leur état mi-animal récent. Ils avaient tout de suite reconnu le taxi, une automobile somme toute, par rapport au sable et à leurs mains et pieds. Ils avaient trouvé sans difficulté la banque, reconnu l'argent, par rapport simples maisons dans le douar, par rapport à l'état saharien sans argent, sans poches. Dorénavant, toute la civilisation avait des rapports. Quant à leurs rapports, ils prenaient une dimension où les deux états se retrouvaient unis. Ils entreprirent le restant de leur voyage par étapes, passant quelque nuit à l'hôtel, s'unissant. En partie, ils voyageaient à pied, en grande partie en autocar. À la terrasse d'un café, ils buvaient leur café en se souriant, dans la mémoire d'une période sans café. Même en buvant un verre d'eau qui accompagnait leur tasse de café, leur sourire jouait.

Un avait passé, depuis qu'ils avaient quitté leur pays. Ils s'étaient installés dans leur seconde résidence, maintenant la première. La vie de tous les jours demeurait par rapport à leur passage au désert un don particulier. Des amis de passage à qui ils avaient confié quelques affaires, leur les rapportaient. Il se trouvait avec ses musiques préférées, elle avec les siennes et avec les photos de famille et de voyage, avec leurs films de circonstance, la plupart le film des fêtes.
(à suivre)

mardi, avril 04, 2006

Comment, malgré nos efforts, il vise
à donner suite au verbe vrai lieu terrestre
au commencement du temps.

Qui se cache, disparaît. Qui habite, attend.

Malheur à celui qui quitte sa demeure
pour ne plus jamais y donner suite,
sa cruche bientôt sera vidée.

Par contre, comment il va de soi, cassant
d'un pas de danse les cristallisés.
Ici maintenant pas de place pour
les sous-officiers: caliche et cruche, maison.


(extrait du même projet de recueil)

lundi, avril 03, 2006



Quatuor

Le chemin du serpent nous a été élu;
au diable nous pouvions à pied,
en vol ou à plat ventre: caprices.

Qui veut tout grand, tombe bien bas.

Autant fort autant timide. Le temps
n'en finit pas lorsque, sans début du cercle
semblant, ouïe et vue périssent et se cachent.

De bonne odeur, tu me présentes les bouts
de tes orteils - je compte jusque quatre,
et puis, serpent, je te fais signe
de te confier à nouveau à tes jambes

(début d'un projet de recueil intitulé "égides")

Bienvenu

Née aux États-Unis sous la plume d'Edgar Allen Poe, Baudelaire traduisant celui-ci en français et l'important au continent européen, la poésie blanche a connu un cheminement sinueux en passant, en français, par Guillaume Apollinaire et Stéphane Mallarmé, pour aboutir à André Du Bouchet, par Paul Célan – à Paris, en allemand – et par Paul Van Ostaijen – en néerlandais – pour aboutir à Hans Faverey et Marc Tiefenthal, ce dernier tant en néerlandais qu'en français.
Peu connue du public, méconnue par les médias, la poésie blanche pourrait être considérée comme la seule tradition moderne en poésie, les autres étant souvent des mouvances néo.

Les médias ont tendance à la classifier comme expérimentale, évitant tout travail de lecture, préférant le déplacement qu'ils confondent au voyage.
À noter que seule la dernière période de l'œuvre de Paul Van Ostaijen se qualifie de poésie blanche.

Deux règles d'or régissent cette reine marginale de la modernité en poésie:
Écrire, c'est biffer
De la musique avant toute chose
La première règle s'applique au préalable: le poète, pour écrire blanc, supprime toute réalité descriptive ou anecdotique. La poésie ne décrit pas, ni ne décrète, elle évoque. Elle évoque par la musique, c'est-à-dire par un jeu – métaphysique – de sonorité et de temps et contre-temps dans la construction des phrases, phrases devenant musicales de la sorte.

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