mercredi, avril 19, 2006

Bonnard à Paris


Le bonheur Bonnard

À l'occasion de la visite à l'exposition des œuvres de Pierre Bonnard au Musée d'art moderne de la ville de Paris

Il est souvent bon ton de dire que l'art est libre de toute valeur, voire doit l'être. L'art ne doit pas juger, seulement montrer. L'art ne doit pas s'engager, ne pas s'impliquer. Picasso pouvait tranquillement crier le scandale lors du bombardement de Guernica, tout en développant ses propres tendances impériales. Il avait la volonté ferme de dominer la scène artistique, à tout prix, y compris telle composition de tel autre peintre, ou encore la technique picturale d'un autre, ayant reçu la visite du maître, que le maître ensuite intégrait dans ses œuvres. En fait, Picasso avait un talent monstre de dessinateur, mais pratiquement pas de talent de peintre.
Il disait même que Pierre Bonnard était un peintre moyen. Sans doute, Bonnard avait-il refusé d'accueillir Picasso dans son atelier? En effet, lorsqu'on voit l'œuvre de Bonnard, on remarque assez vite qu'il maîtrisait de nombreuses techniques et qu'il les utilisait en créant des contrastes tendant à la harmonie, tandis que ses chef-d'œuvres éclatent justement d'harmonie.
La distance entre le peintre et son modèle ou son paysage, intérieur ou portrait, est la plus petite lorsque il s'agissait de peindre sa femme Marthe ou de peindre des autoportraits. Bref, il était fort impliqué.
Il est également bon ton de parler de l'évolution d'une œuvre. Souvent, on oublie d'indiquer le sens de l'évolution, de sorte qu'un changement de couleur dominante, comme dans l'œuvre de Picasso, ou un changement de peinture ou de technique, voire de composition, suffit pour que l'on parle de phase dans une évolution. Au moins, le peintre ne connaissait pas de sens et le critique quelque peu honnête n'en inventera pas un.
Toutefois, les arts plastiques ne permettent pas dix évolutions. On peut donner une ressemblance, une apparence, ou une 'parence', une montration, c'est-à-dire montrer l'objet tel qu'il s'est manifesté, sans y dévier. On peut également approfondir l'image, de sorte que le peintre apparaît de l'autre côté, un peintre autre bien sûr. On peut également dépasser toute image, tout ressemblance, pour ne peindre que l'abstrait. Or, l'art abstrait ne permet pas d'autre évolution que la marginalité: le peintre lui-même apparaît dans sa peinture, y arrive et se fait voir.
Pas étonnant alors que quelques peintres abstraits ont reconnu Pierre Bonnard comme leur prédécesseur. Ses tableaux évoluent dans le sens de la marge, par rapport à la vie mondaine, et de l'abstraction. Cela n'était pas son objectif, ses yeux étant trop avides. Toutefois, vers la fin de sa vie, son regard voyait autrement, voyait les choses autrement. Voilà donc une évolution claire dans un sens rendu visible par l'art.
Pour qu'il soit question d'évolution, il est crucial qu'il s'agisse d'un processus conscient, sans toutefois qu'il y ait une intention explicite. C'est sa propre vie qui évolue dans un certain sens, dont l'effet est visible dans l'art en tant qu'équivalent.
Certes, le lecteur, à présent, dont l'esprit est formé par les images télévisées et tristes, secouera sa tête. Les pensées écrites ici étant exclues du monde imaginaire télévisé, en voie de disparition à la radio, le lecteur s'oblige à croire que tout est parfaitement efficace et doit l'être. Il ne pense plus du tout au bonheur de trouver, hors toute efficacité, un sort, un sens, une évolution. Le bonheur de l'homme télévisé gît à la décharge de sorte que cet homme imaginé s'oblige à croire que la prose qu'il lit ici, est dépassée: le bonheur en effet, est dépassé. Il est passé outre, enlevé par le vent et le malheureux n'est pas arrivé à se pencher à temps.
Une évolution intuitive que l'on peut remarquer chez certains artistes, est au fond une question de bonheur. Elle constitue le bonheur de l'artiste, pourvue qu'elle aille dans le bon sens. Le bonheur Bonnard, quoi.

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