lundi, avril 10, 2006

Triple sort


{ Tiefenthal Page 1 10/04/2006}


Leur vêtement cachait à peine leur peau. Ils ne savaient plus s'ils traversaient ou bien pénétraient dans le désert. Une oasis, une tente, qu'est-ce qu'ils cherchaient? Lui avait la barbe et un peu de cheveux dans la nuque, ainsi que des poils partout. Elle avait les cheveux mi-longs, raides et blancs et un début de toison au bas-ventre. Ils continuaient, puisqu'ils venaient de si loin.

Leur pays s'était éclaboussé, tout en chantant son ultime victoire boueuse. Les peuples ne le peuplaient plus, un d'entre eux avait décidé d'être le seul au prix, aux dépens des autres. Pour mieux gouverner, au lieu de gérer, le peuple par excellence commença à concentrer les autres peuples: d'abord l'autre visible, par sa couleur de peau différente. La télé était couleur. Plus tard, le gouvernement comptait examiner les origines des autres et les concentrer à leur tour.
Ils n'avaient pas le choix. Leur couple valait plus que le pays. Quand elle n'était pas malade, elle n'avait pas la peau assez blanche. Lui, par contre, n'avait pas ce problème. Il serait donc sauvé de l'épuration par concentration. Plus tard, après l'examen des origines, il risquerait le même sort. En outre, JP avait déjà quitté la vie, selon les journaux.
À la frontière, ils devaient abandonner leur voiture, qui fut saisie dans l'intérêt général. Un signe au sud les guidait et c'est à pied qu'ils arrivaient à la gare, sans bagages, après avoir marché une demi-journée. En passant la frontière, ils avaient fort bien caché leur carte bancaire et n'avaient pratiquement pas d'argent liquide avec eux. L'intérêt général devait se contenter de 55 euros. Ils n'avaient donc pas de problème d'argent, de sorte qu'ils payaient le ticket du train rapide. Il fallait faire vite. Vitesse, dieu du siècle passé.
En cours de route, le train s'arrêta à quelques reprises. Ils ont vu, ainsi, un château fort et un cortège d'une dizaine de personnes ligotées qu'un cavalier de son épée dirigea vers le château. Les prisonniers étaient extrêmement délabrés et avançaient à peine.
Un jour plus tard, ils avaient déjà pris le bateau , lorsque le cours de leur vie changeait enfin. Le bateau coulait. Les ténèbres règnent sur la cause de cette catastrophe, qui était peu naturelle.
Un pêcheur les a sortis des eaux, ainsi que trois autres noyés. La nuit, il les a déposés à une plage déserte, en pleine nuit. Ils semaient dans tous les sens leur regard, ils s'aimaient dans les mêmes. Épuisés, enlacés, ils s'étaient endormis. Le matin, il n'y avait plus de traces des trois autres noyés. Ils se levèrent et prirent la route, un sentier rocheux au bout de la plage.
Une semaine plus tard, ils se trouvaient au désert, amaigris n'ayant bu que de l'eau. Dans chaque village qu'ils traversaient dans les montagnes, la pauvreté des habitants empêchait ceux-ci de leur donner à manger. Ils trouvaient tout juste de quoi boire et grignotaient une olive ou deux ou du pain perdu.

Tout allait beaucoup moins vite, dorénavant. Le dieu de la vitesse les avait abandonnés. Le temps comptait à peine. Ils ne s'étaient lavés qu'une fois, dans la mer, avant de reprendre la route, le sentier. Ils avaient abandonnés certaines choses mais lesquelles? Elles ne comptaient plus. Voiture, maison, meubles, carrière (sur scène ou derrière les coulisses, peu importe). Devant eux: le désert.
Grimpant, marchant à peine, le poil regagnant leurs corps, leur état d'animal regagnait leur état d'esprit. Toutefois, rien ne pouvait les séparer.
Au désert, ils trouvaient bientôt quelque peu de quoi se nourrir mais pratiquement pas de quoi boire. La nuit, ils s'entrelaçaient pour se donner un peu de chaleur. La fin s'annonçait sans précision. Au bout de tout espoir, après avoir erré dans le désert, des jours? des semaines? ils voyaient de loin une caravane. Un homme descendit de sa voiture vers eux et fit arrêter la caravane. Il les fit monter dans la voiture et la caravane continuait sa route. Le soir, elle arrivait près d'une oasis. L'homme sortit de la voiture et guida le couple vers une tente, où ils trouvaient à boire, quelque peu à manger et un lit. ils dormirent tout de suite après l'humble repas.

Ils s'étaient accoutumés à leur état mi-animal, avaient fini par résigner à leur stature humaine. Ils avaient perdu toute notion de nation. En se réveillant, ils étaient perdus. Les gens de la caravane ne leur permettaient pas de prendre le temps de retrouver le nord. Ils reprirent la route. La notion du temps leur revenait au fur et à mesure que la caravane avançait et s'arrêtait. Ainsi, ils voyageaient quatre jours lorsqu'une habitation signifiait l'arrêt du voyage. Le chef de la caravane entrait en négociation avec les habitants au sujet du couple trouvé au désert. Après avoir vidé une théière et passé ainsi un temps incomptable, le couple fut accueilli dans une maison du douar.
Ils y restaient quelques jours afin de reprendre leur forme humaine: prendre un bain, se raser, se rhabiller de vêtements propres et neufs.

Après un mois, ils commençaient à se rendre compte de leur état. Tout leur revenait à l'esprit, à la mémoire: le pays éclaboussé, leur but. Ils étaient arrivés dans le pays qu'ils avaient voulu atteindre. Seulement, ils se trouvaient loin de leur but final. Il fallait encore compter quelques jours, voire une semaine de voyage pour y arriver, en fonction du moyen de déplacement qu'ils pourraient trouver. Toutefois, rien ne pressait. Un taxi les apporta un jour en ville, où ils trouvaient une banque, de l'argent et donc de quoi payer le taxi. Ils retournaient à la civilisation sans perdre de vue leur état mi-animal récent. Ils avaient tout de suite reconnu le taxi, une automobile somme toute, par rapport au sable et à leurs mains et pieds. Ils avaient trouvé sans difficulté la banque, reconnu l'argent, par rapport simples maisons dans le douar, par rapport à l'état saharien sans argent, sans poches. Dorénavant, toute la civilisation avait des rapports. Quant à leurs rapports, ils prenaient une dimension où les deux états se retrouvaient unis. Ils entreprirent le restant de leur voyage par étapes, passant quelque nuit à l'hôtel, s'unissant. En partie, ils voyageaient à pied, en grande partie en autocar. À la terrasse d'un café, ils buvaient leur café en se souriant, dans la mémoire d'une période sans café. Même en buvant un verre d'eau qui accompagnait leur tasse de café, leur sourire jouait.

Un avait passé, depuis qu'ils avaient quitté leur pays. Ils s'étaient installés dans leur seconde résidence, maintenant la première. La vie de tous les jours demeurait par rapport à leur passage au désert un don particulier. Des amis de passage à qui ils avaient confié quelques affaires, leur les rapportaient. Il se trouvait avec ses musiques préférées, elle avec les siennes et avec les photos de famille et de voyage, avec leurs films de circonstance, la plupart le film des fêtes.
(à suivre)

2 commentaires:

ADDITIONAL PICTURES a dit…

“L’écriture est un incendie qui embrase un grand remue-ménage d’idéés et qui fait flamboyer des associations d’images avant de les réduire en braises crépitantes et en cendres retombantes. Mais si la flamme décleche l’alerte, la spontanéité du feu reste mystérieuse.
Car écrire c’est brûler vif, mais c’est aussi renaître de ses cendres.”
Blaise Cendrars, poète du Cosmos.

Herr Tiefental,
Mes félicitations sincères.
Ludwig von Cafmeyer.

Anonyme a dit…
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